Aujourd’hui les actions de désobéissance civile se multiplient en France et à travers le monde. Les militants changent de méthodes et se coordonnent pour mener ces actions de façon plus fréquente et plus spectaculaire. Les scientifiques et chercheurs estiment que publier des rapports alarmants ne suffit plus : face à l’urgence climatique, il leur faut sortir de leurs laboratoires et agir. Ils ont tous un objectif commun : alerter l’opinion publique et se faire entendre.
France; Groupe de militants allongé sur le sol faisant semblant d’être morts pendant une manifestation.
Londres; Deux militantes écologistes jettent de la soupe sur un tableau de Vang Gogh exposé à la National Gallery.
Ces images bousculent, dérangent. Ces actions de désobéissances civiles sont mêlées d’insultes, de procès, d’arrestations disproportionnées, d’escalades répressives.
Beaucoup posent la question : jusqu’où faut-il aller ? Certains pensent déjà avoir la réponse, on entend parler d’”éco terrorisme”, d’”écologie radicale”. Mais il s’agirait davantage de comprendre comment en est-on arrivé là ? Face à la détresse et l’impuissance des climatologues et scientifiques, ne serait-ce pas là un dernier recours pour faire entendre sa voix face à l’inaction climatique ? On fait le point !
La désobéissance civile est le refus assumé et public d’obéir à une loi, un règlement ou un pouvoir jugé injuste. Pacifique, la désobéissance civile s’apparente à une forme de résistance sans violence.
Henry David Thoreau
À l’origine, le terme fut diffusé par le philosophe américain Henry David Thoreau, qui l’a conceptualisé dans un essai du même nom : La désobéissance civile, paru en 1849. Cet ouvrage fait état de son refus de payer une taxe devant servir à financer une guerre contre le Mexique, ce qui lui valut une nuit en prison.
John Rawls
Le concept de désobéissance civile a ensuite été précisé par le philosophe John Rawls dans La Théorie de la Justice en 1971. On vous laisse l’extrait entier, qui illustre bien la situation à laquelle nous faisons face aujourd’hui :
« un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas respectés. » (Ce qui lui valut une nuit en prison).
La situation semble désespérée”. D’avis général, notre époque est marquée par un sentiment d’impuissance qui domine, et les réponses des gouvernements en place semblent inadaptées et insuffisantes. Cependant, nous n’avons pas l’exclusivité de ces sentiments. L’histoire regorge de situations similaires, de sentiments d’injustice, de rebellions pour se faire entendre. Nous considérons bien souvent certains de nos droits comme étant acquis, omettant les efforts et les luttes qu’ils ont pourtant nécessités. Quelques exemples historiques à ne pas oublier :
– Les suffragettes en Angleterre qui, en 1928, ont mené une lutte acharnée marquée par des grèves de la faim à répétition pendant des années durant afin d’obtenir l’indispensable : le droit de vote.
– La marche du Sel entamée par Gandhi en Inde en 1930 afin d’obtenir l’indépendance et l’autonomie de son peuple face aux colons européens, qui pillent le sel et détiennent le monopole de sa distribution. Tous les indiens doivent payer un impôt sur le sel et il leur est interdit de le récolter. L’indépendance de l’Inde est prononcée en 1947. Gandhi perdra la vie dans cette lutte…
– Rosa parks défiant les lois ségrégationnistes aux Etats-Unis en 1956, emprisonnée pour avoir simplement refusé de céder sa place dans un bus à une femme blanche. C’est alors qu’un groupe de femmes noires a commencé à lutter pour leurs droits, en exigeant l’embauche de chauffeurs de bus noirs par exemple. C’est seulement en 1964 que les lois ségrégationnistes sont abolies…
– Dick Leitsch, figure marquante dans la lutte pour les droits des homosexuels connu pour avoir commandé de l’alcool dans des bars qui en interdisait la consommation aux homosexuels… Il a ainsi provoqué l’ouverture officielles de bars gays autorisant la vente d’alcool !
– Plus récemment, en France, José Bové démantèle un McDonald’s en 1999 pour protester contre la disparition de la souveraineté alimentaire au profit des multinationales. Il prône le droit à une alimentation saine, locale et produite selon des méthodes durables ! Il s’est entouré d’une armée de paysans activistes dans cette lutte.
On constate donc que quand les négociations échouent, quand le dialogue est rompu, quand les décisions prises par les gouvernements mettent en danger la santé, la sécurité, la liberté de chacun.e, désobéir peut devenir un devoir et s’est avéré être efficace dans le passé.
La désobéissance civile concerne une minorité de gens qui est de plus en plus visible. Blocages de routes, attaques de tableaux, jets de peinture, portraits du président de la république décrochés dans les mairies, vols de chaises au sein des banques, interruptions d’événements sportifs… tout est bon pour alerter l’opinion face à l’inaction climatique des Etats. Des actes qui ne font pas l’unanimité, jugés parfois violents, illégitimes, confus.
Pourquoi les actions de désobéissance civile sont-elles de plus en plus fréquentes ?
– l’échec de la COP21 en 2015
– l’inefficacité des grandes marches pour le climat
– des pétitions qui n’aboutissent pas
– la non considération de la Convention citoyenne pour le climat, dont à peine 10 % des recommandations ont été reprises par la loi Climat…
L’accumulation des déceptions face à l’inaction gouvernementale a fait naître plusieurs mouvements de désobéissance civile. ANV-COP21, Extinction Rebellion, Dernière rénovation, ou Les soulèvements de la Terre multiplient les coups d’éclat pour alerter les médias et inciter les décideurs à modifier leurs pratiques. Ces événements ont créé de vifs débats et ont animé la toile avec la diffusion de vidéos qui cumulent des milliers de vues. Alors, opérations réussies ?
Quoiqu’il en soit, plus les activistes dépensent de l’énergie pour demander à l’Etat des actions à la hauteur de l’urgence climatique, plus celui-ci s’attaque à eux en retour … Plutôt que d’écouter les alertes, de comprendre le message, l’État punit, opprime.
On peut citer :
– l’annulation de la marche climat en 2015 sous François Hollande lors de la Cop 21 pour des raisons de sécurité suite aux attentats de Novembre. Malgré l’annulation, nombre de manifestants ont décidé de se rendre dans la rue quand même, ce qui a donné lieu à 317 arrestations, dont 24 personnes assignées à résidence.
– le procès emblématique des décrocheurs de portraits du président Macron dans les mairies en 2019. Les activistes, qui agissaient pourtant à visages découverts, ont été recherchés par la brigade anti terroriste… Ils ont été condamnés en appel, et font état d’un acharnement judiciaire.
Le traitement judiciaire inquiète. La répression notamment judiciaire augmente contre le défenseurs du vivant : on parle de guerre silencieuse, visant à faire taire toute possibilité de contestation.
Les activistes sont devenus des criminels aux yeux de l’État, et c’est ce que les médias se plaisent à relayer. En effet, les médias passent plus de temps à commenter ces actions qu’à en comprendre le symbole. On pense à La Joconde de Léonard de Vinci entartée, les Tournesols de Van Gogh recouverts de soupe à la tomate ou les Meules de Monet de purée. Just Stop Oil et Last Generation dénonce ici l’inaction climatique. Selon eux, l’art est mieux protégé que la planète…
La désobéissance civile est-elle le dernier recours lorsque toutes les actions démocratiques sont épuisées pour lutter contre un pouvoir injuste ?
Quand les scientifiques s’en mêlent !
En 2020, mille scientifiques signent une tribune dans Le Monde pour revendiquer la nécessité de l’action contestataire face à la crise climatique. En 2022, le collectif Scientist Rebellion s’étend et mène des actions de désobéissance civile partout dans le monde. Notamment, au mois d’ Avril le climatologue pour la Nasa Peter Kalmus est arrêté par la police après s’être enchaîné à la banque américaine JP Morgan Chase, qui finance les énergies fossiles, en savoir plus ici.
Pendant des années, ils ont alerté, détaillé dans des rapports les causes et conséquences du réchauffement climatique. Ils en ont précisé les dangers, les limites à ne pas dépasser, ils ont fait état de l’urgence de la situation. Il est donc l’heure pour les scientifiques de sortir des laboratoires et de se mobiliser pour exiger que les dirigeants politiques regardent les choses en face. Plus de discours faussement optimistes, plus de dissonance totale entre les paroles et les actes, ce que veulent les scientifiques : un regard lucide et un passage à l’action efficace pour lutter contre les dangers du réchauffement climatique.
La désobéissance civile génère des perturbations et attire l’attention, elle veut forcer le débat. Les scientifiques et militants se battent pour des changements fondamentaux et progressifs au sein de nos sociétés et dans le monde au regard de l’urgence climatique. Malheureusement on constate que le débat se penche davantage sur la légitimité de la cause que sur l’action… Au risque d’une prise de conscience bien trop tardive.
Manon Bathmann et Claire Nief